Pourquoi ce blog ? Histoire d'une éducation (2)

Publié le par Nicole Gallinaro

            Ce récit sera aussi l’occasion de purger les angoisses multiples qui ont été les nôtres pendant tant d’années, d’exprimer les doutes et appréhensions qui ont jalonné ces années exceptionnelles et riches. Il est des moments où tout ce qui nous agite paraît tout d’un coup inutile, voire absurde. On est alors saisi par un ressac de vide et le doute s’installe en maître. On se prend à regarder le passé et ses motivations avec l’œil glacial d’un entomologiste disséquant une sauterelle, et tout semble vain. Le dérisoire de nos convictions et du moteur de nos actions nous éclate soudain à la figure comme une baudruche incolore, et l’invraisemblable vanité de nos prétentions nous submerge en déferlante. Il faut alors se battre contre la tentaculaire envie de tout abandonner, déposer humblement ses armes et ses blessures, puis tout reprendre à zéro, sous peine d’une paralysie totale.  Maladresse des intentions, que l’on croyait pourtant bonnes et pures, inadéquation de l’action avec le dessein que l’on s’est fixé, chimère des utopies qu’on prétend poursuivre, tout devient abruptement décourageant, et on a envie de tout arrêter. Que de soirs, que de nuits avons-nous Michel et moi, débattu de l’inanité de nos efforts, de l’orgueil démesuré de nos prétentions, accablés, abattus, persuadés que nous allions à la catastrophe, que nous étions d’insupportables et arrogants apprentis sorciers. Le sentiment que nous étions en train de faire une erreur monumentale, que nous gâchions irrémédiablement l’avenir de nos filles nous submergeait alors. Nous parlions, discutions, disputions, dormions mal, et le lendemain nous reprenions l’aventure, illuminés par la joie de vivre et la volonté d’apprendre de nos filles.
 
          Au début, c’est bien sûr nous qui avons pris la décision de commencer l’instruction de Marie, mais quand elle n’avait que 2 ans cela n’avait rien d’extraordinaire, et nous pensions seulement retarder son entrée à la maternelle. A 6 ans, c’est encore nous qui avons choisi de la garder encore un peu, pour lui éviter l’ennui d’un cours préparatoire. Mais petit à petit, nous avons tenu à ce qu’elles expriment elles aussi leur désir, rester à la maison ou aller au collège. Certains nous ont dit, et ils avaient raison, que leur choix était biaisé puisqu’elles n’avaient connu que l’instruction à domicile et avaient sans doute peur de l’inconnu. D’autres nous ont prétendu, et ils avaient raison, que c’était dangereux de leur offrir l’attrait de l’inconnu, le collège ou le lycée leur semblant un lieu magique où il se passait forcément des choses merveilleuses, comparé à leur quotidien. Je pense sincèrement que les deux tendances se mêlaient dans leurs têtes, et qu’elles prenaient donc leur décision de façon assez sereine. Et de fait, quand il s’est agi d’inscrire Hélène au lycée en première scientifique, elle a admis rapidement que c’était la meilleure solution pour elle. Elle en a conçu un mélange d’exaltation et  de crainte, et s’est très vite rendu compte que ni l’une, ni l’autre n’étaient justifiées. Elle est rentrée dans la norme sans trop de difficultés. J’aurai l’occasion d’en parler plus loin. Marie, quant à elle, a préféré rester avec nous jusqu’au bac, après avoir envisagé assez lucidement les inconvénients d’une telle décision. Nous avons très longuement pesé le pour et le contre, et il serait absurde de prétendre que le premier l’emportait clairement dans notre esprit. Nous avons ensuite tenté d’atténuer au maximum les effets négatifs de cette terminale à la maison, fait face ensemble aux difficultés de cette dernière année, qui fut de loin la plus éprouvante pour nous tous. Nous avons surtout essayé d’en profiter pour rendre l’expérience positive et l’enrichir de possibilités qu’elle n’aurait pas eues si elle était partie au lycée.
          Même si la narration doit en pâtir et sembler parfois incohérente, j’ai à cœur de faire de cette histoire le récit le plus honnête et le plus lucide possible. Je refuse absolument de magnifier ce que nous avons vécu, et tant pis pour ceux qui attendent un conte de fée. L’idée en écrivant ce livre n’est ni de faire des adeptes, ni de faire du prosélytisme. Surtout pas, car nous ne savons que trop ce que notre démarche avait de fou, d’improbable et de risqué. Ayant eu moult  fois l’occasion d’évoquer notre expérience avec des amis, nous avons toujours eu à cœur de leur déconseiller de suivre notre exemple. Non que nous fussions jaloux de l’exclusivité de l’aventure, et encore moins que nous jugions qu’il y ait là matière à critiques. Mais nous avons tellement conscience des difficultés que cela en entraîné, tant au niveau familial qu’au niveau organisationnel, nous savons tellement les efforts et sacrifices que cela a nécessité, l’énergie qu’il a fallu déployer et les erreurs que nous avons commises qu’il nous a toujours semblé insensé de conseiller à quiconque de se lancer dans une semblable aventure.
 
 
          Nous pouvons au mieux essayer de donner des conseils sur la gestion difficile par les parents des relations avec l’école, surtout au niveau primaire. Le moment le plus crucial pour eux est celui où l’enfant atteint les 4/5 ans, il désire à toutes forces  apprendre, tout apprendre et en particulier apprendre à lire. L’histoire est toujours la même. Lorsque l’enfant paraît, les parents sont saisis d’un zèle inébranlable et sont prêts dès le berceau à se transformer en pédagogues. Comme ils ignorent généralement les différents passages obligés des apprentissages, ils brûlent les étapes, sautent les pré-requis, et sont parfois déçus des « performances » de leur enfant. D’autant que les jeux supposés éducatifs qui sont mis à leur disposition dans le commerce de grande distribution souvent en général inadaptés, et sous des apparences simili-pédagogiques, sont en fait totalement inintéressants. L’enfant les laisse rapidement et ils remplissent rarement l’usage pour lequel ils ont été prévus.
 
 
          Lorsque l’âge de la crèche ou de la nounou arrive, ils sont encore très impliqués et souhaitent au moins trouver une nourrice qui ne les plante pas devant la télévision, ou une crèche où on ne les abandonne pas toute la journée. Certains trouvent même la perle rare, comme cette jeune femme qui me racontait dernièrement avoir confié sa fille à une dame merveilleuse qui passait ses journées à lui faire faire des travaux et des jeux pour l’éveiller. Le seul problème c’est que lorsque la fillette atteignit deux  ans et qu’elle fut inscrite à l’école, elle fut bien déçue par l’ambiance de la classe. Elle s’ennuyait ferme car elle avait déjà acquis avec sa nourrice la plupart des apprentissages de petite et de moyenne section, et elle voulait progresser encore. De plus, alors qu’elle avait eu jusque là une adulte entièrement pour elle, elle devait partager la maîtresse avec beaucoup d’autres enfants et elle n’appréciait pas ce nouveau traitement. L’enfant était adorable, sa maman continua à suivre ses progrès et à lui offrir des occasions d’acquérir des nouvelles aptitudes, différentes de celle que lui prodiguait le système scolaire. Actuellement la petite fille est en grande section, il est évident qu’elle aurait pu apprendre à lire depuis au moins un an, elle l’a réclamé avec force très tôt. Heureusement elle ne s’est pas lassée, et surtout sa maîtresse pousse assez loin l’apprentissage des pré-requis de la lecture, lui donnant ainsi l’impression qu’elle apprend vraiment à lire. Cela l’a remotivée fortement pour l’école et elle annonce fièrement qu’il ne saurait être question pour elle de ne pas y aller le lundi matin, jour où ses parents ne travaillent pas et avaient pris l’habitude de la garder à la maison, car elle a « trop de travail  à rattraper ensuite ». Cette réflexion, qui n’a rien d’exceptionnel dans la bouche d’un enfant de cinq ans, montre bien l’importance que les petits accordent à l’école. Pour eux, c’est très sérieux et si nos penseurs pédagogues ont jugé fort à propos que les apprentissages devaient être ludiques pour être mieux « supportés », ils ont négligé ce désir immense du tout petit de faire des choses vraiment raisonnables.
 
 
 

Publié dans fandelou

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E
Merci Nicole de nous partager cette expérience passionante et attendue depuis longtemps ! C'est passionant, et comme ce fut le cas lors de la publication du Petit Re, on attend impatiemment le prochain épisode! Emmanuel
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