Le docteur Spock (2)

Publié le par Nicole Gallinaro

          D’aucuns se sont, bien évidemment, insurgés contre ce qu’ils estimaient être une permissivité extrême, source selon eux de tous les dangers possibles en matière d’éducation. comme si le bébé avait déjà la volonté d’user de la bonne volonté de ses parents, et qu’il ait dès les premières semaines la rouerie d’en abuser. Il pleure quand il a faim, il suffit alors de lui donner son biberon pour le calmer et le rendre heureux. Pourquoi se compliquer la vie, lui faire attendre des heures fixes, lui imposer la têtée quand il n’en veut pas et l’obliger à terminer le biberon quand il renâcle. Pour avoir pratiqué, sans doute avec une belle inconscience, les horaires décidés par nos filles, je puis vous garantir qu’elles trouvèrent toutes seules le rythme qui leur convenait, burent les quantités nécessaires à leur croissance harmonieuse, et que les repas ne furent jamais entre nous à cette époque-là source de conflits ni d’inquiétude. Certes, nous avions quelques idées en la matière, et ainsi nous avons évité de rajouter le moindre grain de sucre dans leur lait pour les inciter à finir les biberons, persuadés que si nous commencions à leur donner le goût du sucre, nous déséquilibrerions leur appétit. Nous leur avons donné beaucoup de légumes dès le début, et avons pris la peine de les assaisonner de façon agréable pour leur plaisir gustatif. Il semble qu’elles ont acquis des goûts éclectiques qui existent toujours, aimant à peu près tout, n’ayant pas de passion excessive pour le sucre, les frites ou le coca et appréciant toutes sortes de légumes. Les déséquilibres en matière de nourriture sont apparus beaucoup plus tardivement, et nous avons alors mesuré avec horreur combien ce domaine est fragile.

             Pour les rythmes de vie, nous les avons toujours couchées avec fermeté le soir, et si elles ont tenté pendant deux ou trois jours de protester contre la décision que nous leur imposions, elles se sont très rapidement habituées à un rythme régulier de sommeil, dormant 12 heures d’affilée sans le moindre problème.

              L’autre principe du docteur Spock était de dire aux parents « Ayez confiance en vous ». Nous avions bien besoin d’être rassurés étant comme je l’ai dit totalement néophytes. Spock nous ayant fait valoir qu’armés de bon sens et de bonnes intentions, nous ne pouvions rien faire de mal, ou du moins ne faire que de petites erreurs dont nous étions parfaitement capables de tirer leçon, nous abordâmes notre tache de façon plus décontractée, plus pragmatique et sans doute plus efficace que si nous avions été crispés sur la peur de nous tromper. Le corollaire de ce conseil de confiance était que nous, parents, nous avions des devoirs certes à l’égard du bébé, mais aussi des droits, et qu’il n’était nullement question d’y renoncer, pour le bien-être de tous. Pas question de transformer l’enfant en tyran, les termes du contrat étaient clairs. Nous voulions faire le maximum pour notre bébé, mais nous avions besoin d’une frange protégée de vie personnelle et intime, et nous avions le droit, voire le devoir d’en imposer le respect. C’était nécessaire à notre équilibre à tous. Nous avons, sans doute encore un effet de notre trentaine, défendu sans aucun complexe ces droits à l’intimité, au repos, à des plages réservées d’adultes, plages durant lesquelles les filles vivaient leur vie d’enfants sans interférer avec nous et sans nous imposer leurs désirs.

            Ainsi par exemple, nous recevions nos amis sans elles, elles venaient dire bonsoir puis allaient se coucher sans protester. Les amis nous trouvaient durs et sans cœur, mais revenaient volontiers nous voir car la soirée ne se passait pas, comme nous l’avions vécu sans plaisir, autour des caprices de l’enfant, à ne parler que de lui, à ne pas pouvoir tenir une conversation suivie, brisant l’amitié au profit du bien-être supposé de l’enfant, sans aucun profit pour personne. Que d’amis avons-nous renoncé à aller voir car leur rendre visite était devenu un calvaire, leurs enfants s’interposant, s’imposant, et empêchant tout échange. Les filles se souviennent du petit pincement qu’elles avaient lorsqu’elles devaient aller se coucher, mais disent avoir apprécier encore plus le jour où nous les avons autorisées à rester avec nous : ce fut alors pour elles un vrai plaisir de rester avec « les grands » et de partager nos soirées. Je pourrais citer de nombreux autres exemples de défense de notre vie d’adultes, le droit de parler sans qu’elles nous interrompent, et sans qu’elles se mêlent de notre conversation, le droit de décider ce qui nous semblait être de notre ressort et de notre compétence, sans qu’elles puissent le contester, le refus de jouer avec elles quand nous avions un travail à faire… en gros nous avions des pans de vie réservés, nécessaires et indispensables pour avoir envie de revenir près d’elles et de nous consacrer à leur épanouissement mais nous avions bien conscience que si nous avions renoncé à tout, nous leur en aurions voulu assez rapidement et qu’inconsciemment nous aurions eu envie de nous libérer.

Publié dans fandelou

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