Les parents

Publié le par Nicole Gallinaro

      Mais le rêve de mon père devant cette petite école de campagne n’est encore que virtuel, car comme je le disais en 1980 nous n’avons toujours pas d’enfants. Choix qu’on ne peut dire raisonné, mais c’est sciemment que nous continuons à vivre nos découvertes et notre construction de la vie à deux seuls. Cette optique vaguement hédoniste et nécessairement égoïste nous apparaîtra un jour réductrice et dangereuse. Nous prendrons conscience alors qu’il est dans la nature de l’amour de donner, d’élargie son d’action, donc de procréer.
 
     En attendant, je cherche du travail. La proximité de la ville de Cognac nous avait quelque peu réconfortés lors de notre installation en ces lieux reculés. Il nous semblait que la quantité de maisons de négoces, d’entreprises liées à l’activité des spiritueux, était rassurante, et devait m’offrir des débouchés en lien avec mes études et mon niveau universitaire. Nous étions d’une naïveté déconcertante, et a posteriori nous avons compris qu’ici plus qu’ailleurs, trouver du travail sans relations relevait de la plus pure utopie. Celles que nous fîmes intervenir étaient obsolètes ou insuffisantes, sans doute le sont-elles toutes. Je commençais à désespérer, et allais même jusqu’à faire bénévolement des traductions franco-italienne et vice versa pour l’organisme manitou du secteur, le Bureau International du Cognac, espérant, en vain, qu’on m’en serait un jour reconnaissant. Une telle candeur a de quoi faire sourire les gens du cru, et sans doute furent-ils ravis de cette aubaine inespérée, sans jamais se sentir à mon égard la moindre obligation, j’étais par trop simplette dans mes attentes ! 
 
     Il me fallut donc trouver autre chose, et ce fut par l’intermédiaire de l’APEC que je trouvai un emploi de maîtresse auxiliaire dans un lycée privé sous contrat de l’Académie de Bordeaux. Cet établissement, bien sous tous rapports, mais terriblement esclavagiste, m’offrit le contrat suivant : 6 heures de cours par semaine, soit un tiers-temps et un salaire à l’avenant, sur 4 jours. Il s’agissait tout simplement de faire des cours d’informatique et de gestions à de jeunes gamins insupportables qui n’en avaient cure. L’informatique, dans ces années reculées, se limitait au niveau de l’enseignement à un brouet théorique vaguement pédant, et à approche tâtonnante du langage Basic. Pour la théorie, je m’offris TOUS les livres que je trouvais dans les librairies bordelaises, développant à qui mieux mieux la définition sésame de la matière « analyse automatique de l’information ». Pour la pratique, je m’initiai sans trop de problème à la logique de base de ce langage anglo-logique, et développai avec mes élèves des petits programmes d’une niaiserie surprenante. Le plus dur fut de faire face à l’agitation chronique de ces jeunes gens (la majorité de mes élèves était des garçons), impertinents et troublés par ma gentillesse et mon inexpérience.
 
     J’avais en la matière une expérience antérieure qui me sembla a priori excellente, et qui se révéla, a posteriori, un désastre. J’avais, durant mes années de faculté, travaillé au service des Relations extérieures d’une grande entreprise de recherche et d’exploitation pétrolière. J’étais « conférencière ». Mon travail consistait, en toute simplicité, à améliorer l’image de marque de la société, en expliquant, arguments scientifiques à l’appui, comment les « pétroliers » étaient des gens consciencieux, attentifs à l’environnement, et préoccupés par l’avenir économique et humain de leurs semblables. Imaginez que tout cela se déroulait sur fond d’Amocco Cadiz, et vous comprendrez combien cette formation aux relations publiques fut enrichissante. Oui, mais voilà, les relations publiques n’ont strictement aucun rapport avec la démarche pédagogique, et si cette expérience me fut par la suite utile pour ranimer avec brio l’intérêt d’une classe inattentive, elle me plongea au début dans un abîme d’erreurs. J’essayais de vendre à mes élèves, à grand renfort de séduction et de diplomatie, les rudiments de la gestion et ceux, encore plus modestes de l’informatique. Ils s’amusaient beaucoup de cette gentillesse inaccoutumée, de ce manque d’autorité, et de ce discours commercial. Il en résulta pour moi l’année la plus périlleuse de ma carrière, navigant par gros temps à chaque intervention, redoutant chaque heure de cours comme une bataille dont je connaissais l’issue inéluctable, chahut et inattention.
 
     Tout cela se déroulait sur un emploi du temps proprement délirant, une heure un jour, deux heures le lendemain, des kilomètres permanents, des nuits passés sur un canapé chez ma mère qui n’avait pas de chambre à m’offrir, et surtout la hantise de chaque nouvelle confrontation. Lorsque la fin de l’année arriva, et que je fis ma déclaration d’impôts, je décidai de déclarer mes frais au réel, et non de retenir le forfait de 10% attribué normalement aux salariés. Le résultat était, bien sûr, terriblement négatif. L’effet ne se fit d’ailleurs pas attendre : l’année suivante, un inspecteur des impôts aussi terrible que stupéfait, me convoqua, exigea des comptes et des explications, et finit par conclure, désespéré : « Mais vous allez continuer longtemps ainsi ? ».  Non, bien sûr, et aussi douloureuse que soit cette année d’apprentissage, je décidai de passer cette année-là le concours d’entrée dans l’Education Nationale.
 
     Ayant été reçue au CAPET d’économie et gestion, je démarrai alors ma carrière officielle. Un maître de stage compétent et sympathique m’apprit sans détour les ficelles du métier. C’est en 1984, enceinte de Marie et sans aucune préparation que je passai et obtint l’agrégation de la même matière, qui me permit d’améliorer ma situation financière, pédagogique et m’apporta quelques encouragements pour ce métier qui devait finalement, sans que je m’en sois jamais douté, être ma vocation.
 
 

Publié dans fandelou

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