Le docteur Spock

Publié le par Nicole Gallinaro

          Le premier de nos maîtres fut en la matière le docteur Spock. Le livre du plus célèbre et le plus controversé des grands pédiatres de ce siècle fut notre livre de chevet dans les premiers mois. Benjamin Spock, pris dans le courant de changements qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, est l’auteur du livre intitulé The Common Sense Book of Baby and Child Care (Le livre du bon sens pour le soin du bébé et de l’enfant), plus tard simplement appelé le Dr. Spock’s Baby and Child Care (Le soin du bébé et de l’enfant selon le Dr. Spock) Aucun autre livre n’a eu un impact aussi important sur l’éducation des enfants, mais quand nous l’avons découvert il n’était plus révolutionnaire, contesté par les uns pour son laxisme, par les autres comme n’ayant pas su aller assez loin dans la libération de l’enfant de la tutelle autoritaire de ses parents. Nous, nous l’avons lu avec naïveté, sans le moindre a priori idéologique : nous n’étions plus tous jeunes, nous n’avions cotoyé ni l’un ni l’autre de petits enfants jusque là, et en un mot ne savions pas trop dans quel sens attraper le bébé qui trônait dans son berceau tout neuf. Nous aurions espéré, dans le plus pur style classique quelque soutien et quelques conseils de nos parents, mais, outre le fait que nous les aurions sans doute mal reçus, ces derniers étaient sinon incompétents, du moins pas du tout intéressés par les problèmes pratiques que posent les bébés. A croire qu’ils n’en avaient pas eu eux-mêmes (si peu, en fait, Michel est fils unique, et  moi aussi, enfin presque), en tout cas, cela ne les avait pas marqués. Il nous fallait donc improviser, ce qu’on fait sans doute plus facilement à 20 ans qu’à 30 et nous étions très soucieux de bien faire. C’est un peu par hasard que le livre que j’achetai fut celui du Docteur Spock, mais je dois avouer que, pris au premier degré, sans chercher à leur donner une valeur philosophique ou à y lire un fait de société, ses conseils nous convinrent parfaitement. Ils nous semblaient pétris de bon sens, et nous les appliquâmes joyeusement.

 
        J’ai depuis donné mon précieux livre, tout déchiqueté, à mon ami le plus cher, quand il a eu lui-même des enfants. Je ne sais trop l’usage qu’il en fit, mais il me semble, au vu des difficultés dont il me parle qu’il n’en a pas eu la même lecture que nous, et qu’il n’a pas appliqué les préceptes de Spock dans le même sens que nous. Pas étonnant dans ces conditions que les avis soient partagés sur ce pédiatre, chacun interprétant sans doute ses préceptes à sa façon. L’auteur est tenu pour responsable en cas d’échec, mais finalement ce sont sans doute les parents qui se compliquent la vie. C’est pourquoi, plutôt que de retrouver l’ouvrage, et d’y rechercher la lettre du texte, je vais dans un premier temps essayer d’en reconstituer l’esprit tel que nous l’avons retenu. Il sera toujours temps ensuite de faire un retour sur réflexion, et de comprendre en quoi le docteur Spock est l’objet de tant de contestations et de remises en cause.

         Les deux ou trois idées-force que nous avons cru découvrir à la lecture du livre nous servirent de repaire pour adapter notre comportement aux événements. Tout d’abord l’enfant, le bébé surtout, sait mieux que le parent le mieux intentionné du monde ce qu’il lui faut, ce dont il a besoin, et il le manifeste toujours très nettement. Le message n’est pas forcément très clair, mais les parents étant par définition inquiets de son bien-être et soucieux de bien faire, ils découvrent rapidement la signification des manifestations de douleur, de malaise ou de joie du bébé. C’est ainsi que nous avons dès les premières semaines évité de réveiller Marie en pleine nuit pour lui faire avaler un biberon qu’elle ne réclamait pas. Le résultat est qu’elle fit des nuits entières très rapidement, nous n’étions pas fatigués et ravis de la retrouver le lendemain matin pour le premier bib. Certes notre entourage s’émut de cette indifférence, nous fûmes taxés de dureté de cœur, d’indifférence ou de cruauté, déjà !… mais, sans doute est-ce là le bénéfice de l’âge, ces accusations ne nous atteignirent pas, puisque Marie allait bien, ne se réveillait pas pour réclamer, nous avions parfaitement bonne conscience. C’était pour nous un entraînement moral de ce que fut la suite de notre aventure : la confrontation au regard critique de notre entourage, choqué, outré par notre attitude, prêt à nous vilipender et à nous bourreler de remords. Mais je serai amenée à reparler de cet aspect particulièrement difficile à gérer de l’éducation de nos filles. Pour l’instant, ce sont des bébés qui, nous l’avons constaté, savent ce dont ils ont besoin, et se débrouillent pour l’obtenir. C’est ainsi que suivant leur rythme, d’autant plus aisément que nous n’avions absolument aucune idée préconçue en la matière, vu que nous étions totalement ignares, nous n’avons connu aucune problème de nourriture, aucun problème de sommeil, ni d’agitation incontrôlée. Elles nous ont appris notre métier de parents, et nous n’avons eu qu’à les suivre.

Publié dans fandelou

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