Le docteur Spock (3)

Publié le par Nicole Gallinaro

           Par ailleurs, elles savaient que, non seulement nous leur imposions ce que nous pensions être bon ou nécessaire, mais que nous le faisions en tenant compte de leurs besoins, de leurs désirs et de leur goûts. Si les circonstances permettaient que nous leur demandions leur avis, elles savaient que nous le faisions. Nous décidions tout naturellement des sorties, de vacances, des menus, en tenant compte de leur présence, de leur plaisir, de leurs désirs, mais en gardant en dernier ressort les rennes de l’organisation matérielle et logistique. L’énoncé des deux principes de base du docteur Spock peut sembler contradictoire, mais il n’en est rien. Je l’illustrerai par un exemple : je décidais par exemple que bébé devait manger une purée de courgettes. C’était le menu choisi pour des raisons d’équilibre, de disponibilités dans le réfrigérateur, de saison, que sais-je, mais en tout cas menu que moi adulte, j'avais décidé de faire en connaissance de cause, et en fonction de causes valables, justes et non contraires à l’intérêt de l’enfant. Si bébé avait faim il pouvait raisonnablement manger cette purée, même si dans un premier temps il était un peu désorienté par un goût nouveau. Sachant qu’il n’y avait aucune autre purée de rechange, sa faim triomphait de la surprise, et finalement il trouvait cela très bon. Et si bébé n’avait plus faim, pas question de le forcer à terminer la purée en question. Si vraiment, il manifestait un dégoût marqué et affirmé pour un type d’aliment, j’évitais ensuite de le lui représenter, pas la peine de créer des sources de conflit. C’est ainsi que j’appris très vite qu’il valait mieux éviter de donner à Marie des desserts ayant une consistance de crème anglaise. Elle n’avait jamais faim pour les manger, de toute évidence elle n’aimait pas cela. Pour lui éviter ces refus c’était très simple, il suffisait de lui donner une compote ! ! pourquoi se compliquer la vie, elle a grandi sans crème anglaise, et n’aime toujours pas cela ! !

           Pourquoi le Docteur Spock a-t-il été et est-il encore si controversé ? Au début ses méthodes s’opposaient aux méthodes rigides et sévères des générations précédentes en matière d’éducation des enfants. L’instinct parental était source de méfiance et seule l’approche stricte et scientifique des pédiatres avait droit de cité. L’alternative proposée par Spock était une approche plus centrée sur l’enfant, et proposait aux parents de faire confiance à leur raison pour déterminer seuls ce qui était bon pour leur enfant. Elle toucha la corde sensible de nombreux parents qui commençaient à mettre en question les pratiques établies.  Il n’est pas sûr que Spock ait initié les changements dans l’attitude du grand public vis-à-vis des enfants et de leur éducation, mais le moment précis où il a produit un manuel sur l’éducation des enfants (qui préconisait une révolution silencieuse dans ses pratiques) a certainement ajouté de l’huile sur le feu.

          Qu’il s’agisse des nouvelles pratiques familiales, des nouveaux rythmes imposés par la vie moderne, de nouveaux rapports entre les hommes et les femmes, le détachement des croyances et habitudes établies, dans les années qui suivirent la Seconde Guerre Mondiale, un changement évident dans la façon d’élever les enfants s’imposa d’autant plus qu’un baby-boom soutenu démarrait. Son premier ouvrage : « Livre du bon sens en matière de soins aux nourrissons et aux enfants » a été très controversé. Publié en 1946, ce livre se démarque complètement des habitudes et de la mentalité très rigide de l’époque. Cela n’empécha pas cet ouvrage de se vendre à plus de trente millions d’exemplaires. Spock part du constat que les jeunes connaissent fort peu de choses du métier de parents. Cette ignorance entraîne une perte de confiance en soi, des angoisses, des erreurs éducatives et des malentendus qui faussent rapidement les rapports enfants-parents.  Il réhabilite l'affection, la tolérance, le respect de la personnalité, ce qui le fera accuser dans les années 1970 d'inciter les familles à l'absolue permissivité et à la démission. Sensible à ces polémiques, Spock a évoqué dans ses dernières publications les limites nécessaires à opposer aux désirs démesurés du jeune enfant.

Publié dans fandelou

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